La gratuité scolaire n’est pas un cadeau : c’est un premier pas vers la justice
Je me souviens de ce moment, debout devant la banque alimentaire de l’Université de Calgary, avec seulement 19 $ dans mon compte bancaire. Impossible de retirer cet argent : les guichets automatiques ne distribuaient que des billets de 20 $. À l’époque, les téléphones cellulaires n’étaient pas encore omniprésents. Les frais de scolarité étaient dus et je n’avais aucune idée comment j’allais payer. Ma réserve n’avait pas les moyens de m’aider. Comme beaucoup d’autres, elle ne pouvait soutenir qu’un nombre limité d’étudiants, souvent ceux qui avaient obtenu leur diplôme de l’école secondaire de la communauté. J’ai donc dû me débrouiller seul.
On croit souvent que tous les étudiants autochtones ont droit à une éducation gratuite. C’est un mythe que j’ai entendu maintes fois — de la part d’étudiants, de professeurs, de politiciens et d’inconnus. La réalité est bien différente : plusieurs d’entre nous luttent simplement pour rester aux études, garder les lumières allumées et se nourrir.
Quand j’étais à l’université, j’ai survécu en vivant chichement, en accumulant de mauvaises notes et en m’accrochant avec acharnement. Je me suis enrôlé dans la réserve militaire. L’entraînement d’été offrait un salaire décent ainsi que le logement et le bouffe. Cet argent m’a permis de couvrir mes besoins essentiels. Un ami, plus chanceux, recevait un financement complet de sa communauté : droits de scolarité, livres et allocation mensuelle. Il m’invitait souvent à manger un sandwich ou un repas chaud. Pas par pitié, peut-être par inquiétude. Il pensait vraiment que je risquais de m’évanouir de faim.
Aujourd’hui, les choses commencent à changer. Lentement. Un petit nombre d’établissements postsecondaires ont décidé d’offrir la gratuité scolaire aux étudiants autochtones. Ce n’est pas encore une révolution, mais c’est une étape cruciale. Ces exemptions ne font pas que soulager une pression financière : elles suppriment un obstacle. Une montagne de moins à gravir. Une excuse de moins pour abandonner. Tous les Canadiens souhaitent que les Premières Nations participent à la vie du pays, mais pendant des générations, on leur a refusé les outils pour y parvenir.
L’Université d’Ottawa s’est récemment jointe à ce mouvement. Après des années de militantisme interne mené par des collègues dévoués comme Tareyn Johnson, nous sommes devenus la première et la seule université francophone au Canada à offrir la gratuité scolaire aux étudiants des Premières Nations admissibles. Pour les membres de la Nation algonquine Anishinàbeg, sur le territoire non cédé de laquelle se trouve l’université, il s’agit d’une reconnaissance significative et d’un geste important de réconciliation.
Et nous ne sommes pas seuls. McGill, Concordia, l’Université de Waterloo, le Collège Humber et le Collège Niagara (tous situés en Ontario ou au Québec) ont pris des engagements similaires. En tout, six établissements à travers le pays ont emboîté le pas. Ironiquement, aucune initiative comparable n’a vu le jour au Manitoba ou en Saskatchewan, où vivent pourtant d’importantes populations autochtones.
Je suis convaincu que ces décisions ont été soigneusement analysées. Les administrateurs ont dû faire leurs calculs et se demander : « Peut-on se le permettre ? » La réponse a été oui. Parce que l’éducation ne devrait pas être un privilège. Parce que l’inclusion n’est pas un luxe. Parce que c’est simplement la chose juste à faire.
Dans l’Ouest, de nombreuses Premières Nations considèrent l’éducation comme un droit issu des traités, un engagement du Canada envers l’apprentissage tout au long de la vie, de la maternelle aux études postsecondaires. Il ne s’agit pas de charité, mais du respect d’obligations légales et morales.
Parmi les Sept enseignements sacrés, des principes qui guident plusieurs cultures autochtones, se trouve inyisîwewin, la sagesse. On nous enseigne à chercher le savoir, à vivre en équilibre et à porter ce que nous apprenons avec humilité et courage. Apprendre n’est pas qu’un chemin vers l’emploi. C’est sacré. Refuser à quelqu’un l’accès à la connaissance, c’est lui refuser une vie complète.
Il est temps de revoir les récits que nous racontons au sujet des étudiants autochtones. Non, tous n’ont pas accès à une éducation gratuite. Beaucoup sont encore laissés pour compte. Mais grâce à ces programmes, moins d’étudiants auront à choisir entre se nourrir et payer les frais de scolarité. Moins dépendront du hasard, de la générosité d’un ami ou d’une banque alimentaire.
Ne nous arrêtons pas à six universités. Élevons cela au rang de norme nationale — pour que tous les étudiants autochtones, et peut-être un jour tous les étudiants, peu importe leur origine ou leur province, aient une réelle chance de réussir.
La gratuité scolaire n’est pas un cadeau. C’est le commencement de la justice.
Argent, argent, argent, c’est ce que je veux,
Pas pour la fête, l'alcool, ni les jeux,
Je veux tracer un chemin droit devant,
Et marcher fier, comme mes ancêtres avant.
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