Au cœur du quartier Exchange de Winnipeg, la réouverture de la Plains Gallery autochtone ressemble à une renaissance. Propriété de Jacques Goddard et exploitée par lui, la galerie occupe désormais un espace quatre fois plus grand qu’auparavant, un témoignage de la vitalité de l’art autochtone et de son attrait indéniable auprès des Manitobains et au-delà. Pourtant, derrière ce succès plane une tension que les artistes autochtones connaissent trop bien : qu’est-ce que l’art autochtone et qui a le droit d’en décider?
Lorsque j’ai parcouru la galerie avec Jacques lors de sa grande réouverture, la réponse semblait jaillir de chaque mur. Peintures, sculptures en stéatite, estampes et bijoux : des œuvres de légendes comme Jackson Beardy, Daphne Odjig et Norval Morrisseau côtoient celles de figures établies telles que Linus Woods, Alex Janvier et Jackie Traverse.
« La culture, les récits, l’histoire, les enseignements, tout est dans l’art, » m’a confié Jacques. « Chaque peinture, chaque sculpture porte en elle une histoire, un récit, un enseignement. »
Depuis plus de 30 ans, Goddard tisse des liens avec des artistes du Manitoba et du Nord de l’Ontario, d’abord au sein du Aboriginal Arts Group en 1995, puis comme galeriste indépendant. Sa nouvelle galerie est à la fois une célébration de la survie et un défi lancé aux attentes étroites qui ont longtemps limité la créativité autochtone.
Comme le corbeau qui libère le soleil : l’art autochtone contre les limites imposées
Mon oncle défunt, l’artiste cri Noel Wuttunee, m’a confié en 2012 qu’il se sentait étouffé par les exigences des acheteurs. « J’aime me lancer des défis, repousser les limites de mon art, » disait-il. « Parfois, mon art ne paraît pas autochtone. Alors les gens réagissent : Nous voulons seulement acheter de l’art autochtone. Je leur réponds : Je suis Autochtone. Je suis Cri, un Nehiyawak. Donc ceci est de l’art autochtone. Et eux insistent : Ce n’est pas l’art autochtone que nous voulons. »
Sa frustration reflétait une vérité que beaucoup d’artistes autochtones portent : être enfermés dans une boîte. Acheteurs, collectionneurs, et même institutions veulent souvent que l’art autochtone corresponde à une image figée : perles et plumes, motifs animaliers, capteurs de rêves. Mais l’art autochtone n’est pas un costume. Ce n’est pas une idée figée du passé. C’est quelque chose de vivant, d’expérimental, de contradictoire et de moderne.
Morrisseau et la controverse de l’authenticité
Un mur de la galerie de Goddard présente une rare estampe de Norval Morrisseau. Alors que des controverses sur des contrefaçons font rage depuis quelques années, Goddard en souligne les marques de séparation des couleurs pour en prouver l’authenticité. « C’est une vraie, » dit-il avec fermeté. Mais le simple fait qu’il doive en défendre la légitimité révèle une autre tension dans le monde de l’art : le contrôle de ce qui est considéré comme réel, authentique, ou « véritablement autochtone ».
Or, l’art résiste aux définitions simplistes. Qu’est-ce qui rend une peinture de Morrisseau plus autochtone qu’une toile de Patrick Ross, ou qu’une œuvre contemporaine de Jackie Traverse? La vérité, c’est que toutes deux naissent de réalités autochtones. Elles sont différentes, elles parlent à des expériences différentes, et elles sont toutes deux belles.
Un mélange de voix anciennes et nouvelles
En parcourant la nouvelle Plains Gallery, la variété est frappante. Des peintures de maîtres reconnus côtoient des œuvres d’artistes en début de carrière. On y trouve de grandes et de petites sculptures, des lignes modernistes et des iconographies traditionnelles, des formes expérimentales et des symboles profondément historiques. La vision curatoriale de Goddard laisse de la place à tout cela.
« C’est un bon mélange, » dit-il. « Des artistes disparus, certains établis, d’autres émergents. C’est une question de continuité. Il s’agit de montrer que l’art autochtone n’est pas qu’une seule chose. »
Le sens plus profond
Ce qui compte le plus, ce n’est pas de savoir si une œuvre paraît « assez autochtone », mais si elle porte en elle un récit, une identité et un esprit. L’art est l’endroit où l’histoire et l’avenir se rencontrent, où les peuples autochtones se définissent eux-mêmes, à leurs propres conditions.
Pour moi, les paroles de mon oncle résonnent plus que jamais. Les artistes autochtones ne sont pas des reliques de musée, mais des créateurs du présent et de l’avenir. Quand Noel disait : « Je suis Cri, je suis Nehiyawak, donc ceci est de l’art autochtone », il affirmait une vérité : c’est l’artiste qui définit l’art, non l’acheteur, non le marché.
La réouverture de la Plains Gallery est plus qu’une simple décision d’affaires. C’est une déclaration de survie et d’autodétermination. Elle crée un espace où les artistes autochtones peuvent être libres d’être eux-mêmes, que leur travail paraisse « traditionnel » ou « moderne ». Elle affirme que l’art autochtone a sa place partout : dans la boîte, hors de la boîte, et dans des espaces que nous n’avons pas encore imaginés.
Le chef enferma le soleil dans son coffre scellé,
Nous sommes sombres, glacés, privés de vérité.
Mais le corbeau, refusant de plier, brisa les chaînes,
Et le peuple retrouva enfin sa lumière certaine.