Je réfléchis depuis longtemps à cette question qui revient sans cesse dans les rassemblements des Premières Nations. Comment mettre fin à la discrimination dans la transmission du statut d’Indien d’une génération à l’autre. Cette question a occupé un panel devant les chefs réunis à Ottawa cette semaine. Le projet de loi S-2 avance au Sénat et, pour la première fois depuis des décennies, il semble enfin possible d’éliminer la règle de la deuxième génération. Pourtant, au cœur de ce débat se trouve une figure qui me touche profondément, la ministre Mandy Gull-Masty.
Je le dis sans détour. Je la plains. Non pas par condescendance, mais parce qu’elle a accepté un rôle que jamais une personne autochtone ne devrait porter seule. Elle est devenue, malgré elle, l’agente indienne moderne. Elle est devenue celle qui doit défendre un système conçu pour réduire notre nombre. Elle est devenue la voix publique d’une loi qui ne sert pas les intérêts de nos peuples, mais ceux du gouvernement du Canada.
Quand Justin Trudeau est arrivé au pouvoir en 2015, plusieurs se demandaient pourquoi aucun député autochtone n’avait été nommé ministre des Affaires indiennes. Après avoir moi-même servi comme député, je comprends mieux. Une fois à l’intérieur du gouvernement, vous passez vos journées à tenter d’équilibrer trop de responsabilités contradictoires. Vous devez appuyer le premier ministre et la ligne gouvernementale. Ensuite, vous devez essayer de répondre aux attentes de votre peuple. Vous portez vos convictions personnelles, vos rêves pour les générations futures, vos obligations envers les ancêtres. Vous essayez de ne blesser personne et vous finissez par vous blesser vous-même.
Lorsque j’étais au caucus national, j’ai pris la parole pour dénoncer la règle de la deuxième génération lors d’un débat similaire sur la Loi sur les Indiens dans le cadre du projet de loi S-3 en 2018. On m’a accordé 90 secondes pour expliquer pourquoi cette discrimination détruit nos communautés. Deux ministres se sont ensuite levés pour contredire mes propos et ont parlé pendant 10 minutes. Je me souviens de leur malaise. Je me souviens aussi de mes collègues qui ne comprenaient pas pourquoi deux ministres adoptaient une position si dure. C’était pourtant clair. C’était la position du gouvernement. Ils savaient ce qu’ils faisaient. Ils savaient que le gouvernement protégeait un système qui garde nos peuples divisés et réduit notre nombre à chaque génération. Ils savaient qu’en freinant ces changements, ils refusaient à des enfants le droit de rester dans leur propre communauté.
La Loi sur les Indiens sert toujours les intérêts du gouvernement. Elle organise la disparition lente et administrative des Premières Nations. Sharon McIvor, militante infatigable, l’a rappelé cette semaine. Elle affirme que la loi est un document d’extinction. Si la règle demeure, plusieurs communautés n’auront plus aucun membre inscrit. Sans statut, nous perdons nos droits, et nos terres reviennent à la Couronne.
Dans ce contexte, Mandy Gull-Masty défend une position prudente. Elle affirme vouloir un chemin différent. Elle souligne que les outils nécessaires pour accompagner les communautés ne sont pas définis. Elle rappelle que les Premières Nations ne sont pas toutes identiques. Tout cela est vrai. Mais cela ne répond pas à la question essentielle. Devons-nous mettre fin à la discrimination maintenant ou poursuivre encore des consultations qui durent depuis des générations.
Je crois que si la ministre est crie, alors elle doit être une guerrière. Elle doit lever le poing et être prête à quitter son poste si le gouvernement refuse de reconnaître les droits fondamentaux des enfants de nos nations. Quand elle quittera la politique pour de bon, ce ne sera pas son titre ministériel qui comptera. Ce sera sa capacité à dire qu’elle a accompli quelque chose de valeur pour les générations à venir.
Je dis la même chose au député Jaime Battiste. Lui aussi doit écouter les esprits de ses ancêtres. La politique tente souvent de nous convaincre de jouer un long jeu. Mais le long jeu dans la Loi sur les Indiens est simple. Si nous attendons trop longtemps, il ne restera plus personne à protéger.
Aujourd’hui, le Sénat propose enfin d’abolir la règle de la deuxième génération. Le projet de loi passera ensuite à la Chambre des communes. Pour une fois, le chemin est clair. Fierté ou honte. Action ou immobilisme.
Il est temps que nos représentants aient le courage d’affirmer que le statut ne doit plus être un outil de division. Il doit être le reflet de notre lien vivant avec nos territoires. La ministre doit agir. Les députés doivent agir. Et nous devons rappeler au gouvernement que nos enfants ne sont pas négociables.
Quand le soleil se lève, nous offrons nos prières,
Le cœur du guerrier se tient toujours prêt,
Le courage toujours prêt,
Prêt à rencontrer les ancêtres.
https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/2110788/c-38-reforme-loi-indiens











