Thursday, 9 October 2025

Au rythme du tambour de guerre

Entendez les tambours. On les entend dans le rythme et les slogans du nouveau « ministère de la Guerre » américain. Guerre, guerre, guerre. Dans un discours sans détour prononcé devant les généraux et amiraux américains à Quantico le 30 septembre, le secrétaire à la Guerre, Pete Hegseth, a déclaré que « l’ère du Département de la Défense est terminée », promettant une armée entièrement tournée vers la létalité et la « paix par la force ». Il a raillé les « âneries woke », juré qu’il n’y aurait « plus de barbus » et affirmé que les postes de combat reviendraient aux « normes masculines les plus élevées ». Le ton était triomphaliste, le message clair : préparez-vous à la guerre.


Ce discours est survenu quelques jours à peine après qu’Hegseth eut refusé de retirer les médailles d’honneur décernées à des soldats américains pour leur rôle dans le massacre de Wounded Knee en 1890, où plus de 250 Lakotas, pour la plupart des femmes et des enfants, furent exterminés. « Sous ma direction, les soldats qui ont combattu à la bataille de Wounded Knee conserveront leurs médailles… Cette décision est finale », il a annoncé. Les dirigeants autochtones ont qualifié ce geste de nouvelle blessure ; les médias du Dakota du Sud et les grandes agences nationales ont relayé l’indignation de la tribu Oglala Sioux et d’autres nations. Cette décision révèle un état d’esprit, non seulement à propos du passé, mais aussi de l’avenir.

En tant que Canadien, vétéran et ancien député, j’entends ces tambours avec inquiétude. Les mots comptent. Les symboles aussi. Les médailles sont censées souligner un courage extraordinaire au service de la vie au milieu de l’horreur de la guerre. Décerner et désormais protéger délibérément des honneurs associés au meurtre de femmes et d’enfants désarmés n’est pas un acte neutre. C’est une déclaration sur les vies qui méritent d’être pleurées et celles qui peuvent être sacrifiées. Lorsque le plus haut responsable militaire des États-Unis franchit sans remords cette ligne morale, les alliés devraient y prêter attention.

Les faits historiques, eux, ne sont pas ambigus. Wounded Knee a eu lieu le 29 décembre 1890. Plus de 250 Lakotas ont été tués ; 19 médailles d’honneur ont été décernées spécifiquement pour des actions à Wounded Knee (31 pour l’ensemble de la campagne). Même le Congrès américain, en 1990, a adopté une résolution exprimant ses « profonds regrets ». Depuis des décennies, des nations autochtones et des parlementaires réclament de « retirer la tache ». La dernière initiative, aux législatures du Dakota du Sud et à Washington, a précédé le refus d’Hegseth. Ce refus, désormais accompagné d’un discours de guerre culturelle adressé aux hauts gradés, est la raison pour laquelle le monde devrait s’inquiéter.

Nous avons déjà vu ce scénario, à plus petite échelle : purifier le langage, durcir la posture et redéfinir qui appartient au cercle. Le discours de Quantico ne portait pas seulement sur les navires, les budgets ou les munitions ; il portait sur la culture. Lorsqu’un gouvernement rebaptise la « défense » en « guerre », restreint qui est jugé apte à servir et affaiblit les mécanismes de contrôle qu’il qualifie d’« instrumentalisés », il construit une institution prête à tolérer davantage de violence, ici comme ailleurs. Le secrétaire a promis d’assouplir les règles d’engagement « délier les mains de nos combattants »  et d’exalter la « létalité maximale ». Les démocraties devraient y réfléchir sérieusement. La létalité est parfois nécessaire ; la glorifier en est une autre.


Les Canadiens vivent depuis toujours à côté d’une superpuissance oscillant entre retenue et force justicière. Nous sommes un pays moyen, certes, mais nous avons cherché à être un pays de principes. Notre sécurité dépend des choix de notre voisin. Si ce voisin respecte les droits humains, nous sommes plus en sécurité. S’il transforme les atrocités de l’histoire en actes de bravoure et promet une « violence écrasante et punitive », nous en sentirons les secousses dans les conseils de l’OTAN, au NORAD, dans le droit international et jusque sur nos rues principales, de Winnipeg à Whitehorse.

La démocratie recule partout dans le monde. En pareil moment, le leadership se mesure non seulement à la manière de combattre, mais aussi à ce que l’on choisit d’honorer. Retirer ces médailles d’honneur ne réécrirait pas l’histoire ; cela la nommerait enfin. Cela alignerait la puissance américaine sur ses propres principes, ceux-là mêmes qui inspirèrent les regrets du Congrès en 1990 et des décennies de militance des familles lakotas, qui se réunissent encore chaque décembre pour se souvenir de leurs morts.

On peut entendre les tambours. Mais nous ne sommes pas obligés d’en suivre le rythme. Ne répétons pas la sauvagerie du siècle dernier et la deuxième guerre mondiale, ne semons pas de sel sur la terre destinée à nos enfants. Si la paix doit signifier quelque chose, qu’elle soit la primauté du droit sur la force, de la mémoire sur le mythe et de la dignité humaine sur les médailles.

Ils ont commencé le battement hypnotique,
          le tambour résonne dans le ventre du monde.
                          Le peuple peut-il résister ?
                                            La terre entière marchera-t-elle vers la guerre ?

 

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