Monday, 25 August 2025

Comme le corbeau qui libère le soleil enfermé : l’art autochtone à la Plains Gallery

Au cœur du quartier Exchange de Winnipeg, la réouverture de la Plains Gallery autochtone ressemble à une renaissance. Propriété de Jacques Goddard et exploitée par lui, la galerie occupe désormais un espace quatre fois plus grand qu’auparavant, un témoignage de la vitalité de l’art autochtone et de son attrait indéniable auprès des Manitobains et au-delà. Pourtant, derrière ce succès plane une tension que les artistes autochtones connaissent trop bien : qu’est-ce que l’art autochtone et qui a le droit d’en décider? 

Lorsque j’ai parcouru la galerie avec Jacques lors de sa grande réouverture, la réponse semblait jaillir de chaque mur. Peintures, sculptures en stéatite, estampes et bijoux : des œuvres de légendes comme Jackson Beardy, Daphne Odjig et Norval Morrisseau côtoient celles de figures établies telles que Linus Woods, Alex Janvier et Jackie Traverse.

 

« La culture, les récits, l’histoire, les enseignements, tout est dans l’art, » m’a confié Jacques. « Chaque peinture, chaque sculpture porte en elle une histoire, un récit, un enseignement. »

Depuis plus de 30 ans, Goddard tisse des liens avec des artistes du Manitoba et du Nord de l’Ontario, d’abord au sein du Aboriginal Arts Group en 1995, puis comme galeriste indépendant. Sa nouvelle galerie est à la fois une célébration de la survie et un défi lancé aux attentes étroites qui ont longtemps limité la créativité autochtone.

 




Comme le corbeau qui libère le soleil : l’art autochtone contre les limites imposées 

 

Mon oncle défunt, l’artiste cri Noel Wuttunee, m’a confié en 2012 qu’il se sentait étouffé par les exigences des acheteurs. « J’aime me lancer des défis, repousser les limites de mon art, » disait-il. « Parfois, mon art ne paraît pas autochtone. Alors les gens réagissent : Nous voulons seulement acheter de l’art autochtone. Je leur réponds : Je suis Autochtone. Je suis Cri, un Nehiyawak. Donc ceci est de l’art autochtone. Et eux insistent : Ce n’est pas l’art autochtone que nous voulons. »

 

Sa frustration reflétait une vérité que beaucoup d’artistes autochtones portent : être enfermés dans une boîte. Acheteurs, collectionneurs, et même institutions veulent souvent que l’art autochtone corresponde à une image figée : perles et plumes, motifs animaliers, capteurs de rêves. Mais l’art autochtone n’est pas un costume. Ce n’est pas une idée figée du passé. C’est quelque chose de vivant, d’expérimental, de contradictoire et de moderne.

 

Morrisseau et la controverse de l’authenticité

 

Un mur de la galerie de Goddard présente une rare estampe de Norval Morrisseau. Alors que des controverses sur des contrefaçons font rage depuis quelques années, Goddard en souligne les marques de séparation des couleurs pour en prouver l’authenticité. « C’est une vraie, » dit-il avec fermeté. Mais le simple fait qu’il doive en défendre la légitimité révèle une autre tension dans le monde de l’art : le contrôle de ce qui est considéré comme réel, authentique, ou « véritablement autochtone ».

 

Or, l’art résiste aux définitions simplistes. Qu’est-ce qui rend une peinture de Morrisseau plus autochtone qu’une toile de Patrick Ross, ou qu’une œuvre contemporaine de Jackie Traverse? La vérité, c’est que toutes deux naissent de réalités autochtones. Elles sont différentes, elles parlent à des expériences différentes, et elles sont toutes deux belles.

 

Un mélange de voix anciennes et nouvelles

 

En parcourant la nouvelle Plains Gallery, la variété est frappante. Des peintures de maîtres reconnus côtoient des œuvres d’artistes en début de carrière. On y trouve de grandes et de petites sculptures, des lignes modernistes et des iconographies traditionnelles, des formes expérimentales et des symboles profondément historiques. La vision curatoriale de Goddard laisse de la place à tout cela.

 

« C’est un bon mélange, » dit-il. « Des artistes disparus, certains établis, d’autres émergents. C’est une question de continuité. Il s’agit de montrer que l’art autochtone n’est pas qu’une seule chose. »

 

Le sens plus profond

 

Ce qui compte le plus, ce n’est pas de savoir si une œuvre paraît « assez autochtone », mais si elle porte en elle un récit, une identité et un esprit. L’art est l’endroit où l’histoire et l’avenir se rencontrent, où les peuples autochtones se définissent eux-mêmes, à leurs propres conditions.

Pour moi, les paroles de mon oncle résonnent plus que jamais. Les artistes autochtones ne sont pas des reliques de musée, mais des créateurs du présent et de l’avenir. Quand Noel disait : « Je suis Cri, je suis Nehiyawak, donc ceci est de l’art autochtone », il affirmait une vérité : c’est l’artiste qui définit l’art, non l’acheteur, non le marché.

 

La réouverture de la Plains Gallery est plus qu’une simple décision d’affaires. C’est une déclaration de survie et d’autodétermination. Elle crée un espace où les artistes autochtones peuvent être libres d’être eux-mêmes, que leur travail paraisse « traditionnel » ou « moderne ». Elle affirme que l’art autochtone a sa place partout : dans la boîte, hors de la boîte, et dans des espaces que nous n’avons pas encore imaginés.

 

Le chef enferma le soleil dans son coffre scellé,
Nous sommes sombres, glacés, privés de vérité.
Mais le corbeau, refusant de plier, brisa les chaînes,
Et le peuple retrouva enfin sa lumière certaine.

Pushing Beyond the Box: Indigenous Art at the Plains Gallery

In the heart of Winnipeg’s Exchange District, the newly reopened Indigenous Plains Gallery feels like a rebirth. Owned and operated by Jacques Goddard, the gallery now spans a space four times larger than before, a testament to the growth of Indigenous art and its undeniable pull on Manitobans and beyond. Yet, behind the success, there lingers a tension that Indigenous artists know all too well: What is Indigenous art and who gets to decide?

When I walked through the gallery with Jacques during his grand re-opening, the answer seemed to spill from every wall. Paintings, soapstone carvings, prints, and jewellery, pieces from legends like Jackson Beardy, Daphne Odjig and Norval Morrisseau, alongside established names such as Linus Woods, Alex Janvier and Jackie Traverse. “The culture, the stories, the history, the teachings, it’s all in the art,” Jacques told me. “Every painting, every carving has history, a story, a teaching to it.”

For more than 30 years, Goddard has been building relationships with artists across Manitoba and Northern Ontario, first through the Aboriginal Arts Group in 1995 and then as a gallerist on his own. His new gallery is both a celebration of survival and a challenge to the narrow expectations that have long confined Indigenous creativity.





The box Indigenous artists are pushed into

My late uncle, Cree artist Noel Wuttunee, once told me back in 2012 that he felt suffocated by what buyers demanded of him. “I like to challenge myself, to push my art,” he said. “Sometimes my art doesn’t look Indigenous. And then people push back. They say, ‘We only want to buy Indigenous art.’ I tell them, ‘I am Indigenous. I am Cree, a Nehiyawak. So this is Indigenous art.’ They say, ‘It’s not the Indigenous art we want.’”

His frustration echoed a truth many Indigenous artists carry: being pushed into a box. Buyers, collectors, and even institutions often want Indigenous art to fit a set image, beads and feathers, animal motifs, dreamcatchers. But Indigenous art is not a costume. It is not a frozen idea of the past. It is alive, experimental, contradictory, and modern.

Morisseau and the controversy of authenticity

One wall of Goddard’s gallery features a rare Norval Morrisseau print. With controversy swirling about forgeries in recent years, Goddard points out the score marks of color separation to prove its authenticity. “That’s a real one,” he says firmly. But the very fact that he has to defend its legitimacy points to another tension in the art world: the policing of what is real, authentic, or “authentically Indigenous.”

And yet, art resists simple definitions. What makes a Morrisseau painting more Indigenous than a Patrick Ross canvas, or a contemporary piece by Jackie Traverse? The truth is that both spring from Indigenous realities. Both are different styles, they speak to different realties and both a beautiful. 

A blend of old and new voices

Walking through the new Plains Gallery, the sheer variety is striking. Paintings by established masters hang beside works from artists who are just beginning their careers. There are carvings large and small, modernist lines and traditional iconography, experimental forms and deeply historical symbols. Goddard’s curatorial vision makes space for all of it.

“It’s a good blend,” he says. “Artists who have passed on, some established, some emerging. It’s about continuity. It’s about showing that Indigenous art is not just one thing.”

The deeper meaning

What matters most is not whether a piece looks “Indigenous enough,” but whether it carries story, identity and spirit. Art is where history and future meet, where Indigenous peoples define themselves on their own terms.

For me, my uncle’s words resonate more than ever. Indigenous artists are not relics of a museum but creators of the present and future. When Noel said, “I am Cree, I am Nehiyawak, so this is Indigenous art,” he was asserting a truth: the artist defines the art, not the buyer, not the market.

The reopening of the Plains Gallery is more than a business move. It is a statement of survival and self-determination. It creates a space where Indigenous artists can be free to be themselves, whether their work looks “traditional” or “modern.” It insists that Indigenous art belongs everywhere, inside the box, outside the box, and in spaces we haven’t even imagined yet.